Penser les “autres”
Olivier Tessier, EFEO-Hanoi
Pour être franc, je ne m’étais pas replongé dans l’ouvrage Tristes Tropiques
depuis mes années d’université à Aix-en-Provence. Sa lecture fut à l’époque
une expérience déterminante dans le choix de me lancer dans un doctorat
d’anthropologie; elle était également un exercice obligatoire pour tout apprenti
ethnologue rêvant de parcourir des contrées exotiques, et pour cause!
L’ouvrage s’ouvre sur une sentence lapidaire et définitive, sûrement la plus
célèbre de la littérature ethnologique: “Je hais les voyages et les
explorateurs.”
Conscient de la violence de cette formule et de l’apparent paradoxe que
constituait alors la narration de ses propres expéditions, Claude Lévi-Strauss
explique par touches successives au fil de l’ouvrage l’aversion que lui inspirent
les récits de voyages et leur mise en scène théâtrale où les “peuples sauvages”
servent de faire-valoir, tel un décor de cinéma, aux aventures de l’explorateur:
“Je comprends alors la passion, la folie, la duperie des récits de voyage. Ils
apportent l’illusion de ce qui n’existe plus et qui devrait être encore, pour que
nous échappions à l’accablante évidence que vingt mille ans d’histoire sont
joués. [...]” (p. 36 et 37). Le travail ethnologique se devait d’être l’antithèse de
ces entreprises de falsification pseudo-scientifiques où “Moins qu’un parcours,
l’exploration est une fouille: une scène fugitive, un coin de paysage, une
réflexion saisie au vol permettent seuls de comprendre et d’interpréter des
horizons autrement stériles.” (p. 48)
Formé à la philosophie et au droit, Claude Lévi-Strauss enseignait la
philosophie dans un lycée de province lorsqu’il fut convié à prendre part à la
mission universitaire au Brésil en qualité de professeur à l’université de Sâo
Paulo (1935 - 1938). C’est au cours de ce séjour qu’il effectua plusieurs
