Dans cette conception de la filiation comme principe organisateur des
groupes sociaux, la stratégie sociale vise à conserver et à transmettre les biens
au sein du groupe d’unifiliation (famille conjugale patrilinéaire ou
matrilinéaire, clan, lignage). Claude Lévi-Strauss va prendre le contrepied de
ce paradigme en définissant une “théorie de l’alliance de mariage” qu’il place
au cœur de sa “théorie structuraliste de la parenté”. De quoi s’agit-il?
Schématiquement, constatant le caractère universel de la prohibition de
l’inceste, plutôt que de chercher à l’expliquer, il va considérer cet état de fait
comme l’essence même de la parenté: puisqu’un homme ne peut épouser ses
proches parents, sœur ou fille, il doit donc les donner comme épouses à
d’autres hommes et, en retour, recevoir des autres son ou ses épouse (s). La
prohibition de l’inceste est l’expression négative d’une loi d’échange, la
contrepartie nécessaire à l’instauration de liens sociaux entre les familles.
Prolongeant ce tabou universel de l’inceste, des règles positives de l’échange
fixent le choix du conjoint: de nombreuses sociétés prescrivent les mariages
entre “cousins croisés”, c’est-à-dire les enfants de la sœur du père ou du frère
de la mère, et interdisent les alliances entre “cousins parallèles”, c’est-à-dire
les enfants du frère du père ou de la sœur de la mère, dessinant ainsi une trame
d’échange et donc de sociabilité privilégiée. Et si les sociétés occidentales
n’ont pas ou plus la contrepartie positive à la règle négative de la prohibition
de l’inceste, heureusement d’autres groupes humains l’ont conservée ce qui
permet ainsi à l’auteur d’élaborer, sur la base de cette théorie restreinte de la
parenté, une théorie générale de la parenté. Soulignons enfin que l’échange des
femmes n’est qu’un aspect parculier d’un ensemble de prestations réciproques
entre groupes, prestations qui portent notamment sur la circulation de biens
symboliques matériels ou immatériels dans un système de don / contre-don.
Pour qui est familiarisé à la discipline anthropologique, ces notions
d’échanges, de prestations totales et de don/contre-don évoquent
immédiatement les travaux fondateurs du sociologue Marcel Mauss et, plus
particulièrement, son célèbre Essai sur le don. Claude Lévi-Strauss reconnaît
explicitement cette filiation intellectuelle qu’il réaffirme dans son
“Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss”, comme il souligne à plusieurs
