De plus, l’administration pénitentiaire ne put opérer comme les
autorités religieuses et, dans une moindre mesure, militaires. Les moines
des deux seuls couvents de la ville avaient été, en effet, dispersés et logés
provisoirement dans des familles pieuses. De même, chaque fois que cela
fut possible, des petites compagnies avaient été détachées des casernes et
mises en garnison dans des écoles ou des immeubles publics. Ainsi la
maladie qui, apparemment, avait forcé les habitants à une solidarité
d’assiégés, brisait en même temps les associations traditionnelles et
renvoyait les individus à leur solitude. Cela faisait du désarroi.
On peut penser que toutes ces circonstances, ajoutées au vent,
portèrent aussi l’incendie dans certains esprits. Les portes de la ville furent
attaquées de nouveau pendant la nuit, et à plusieurs reprises, mais cette fois
par de petits groupes armés. Il y eut des échanges de coups de feu, des
blessés et quelques évasions. Les postes de garde furent renforcés et ces
tentatives cessèrent assez rapidement. Elles suffirent, cependant, pour faire
lever dans la ville un souffle de révolution qui provoqua quelques scènes de
violence. Des maisons, incendiées ou fermées pour des raisons sanitaires,
furent pillées. À vrai dire, il est difficile de supposer que ces actes aient été
prémédités. La plupart du temps, une occasion subite amenait des gens,
jusque-là honorables, à des actions répréhensibles qui furent imitées sur-le-
champ. Il se trouva ainsi des forcenés pour se précipiter dans une maison
encore en flammes, en présence du propriétaire lui-même, hébété par la
douleur. Devant son indifférence, l’exemple des premiers fut suivi par
beaucoup de spectateurs et, dans cette rue obscure, à la lueur de l’incendie,
on vit s’enfuir de toutes parts des ombres déformées par les flammes
mourantes et par les objets ou les meubles qu’elles portaient sur les épaules.
Ce furent ces incidents qui forcèrent les autorités à assimiler l’état de peste
à l’état de siège et à appliquer les lois qui en découlent. On fusilla deux
voleurs, mais il est douteux que cela fît impression sur les autres, car au
milieu de tant de morts, ces deux exécutions passèrent inaperçues : c’était
une goutte d’eau dans la mer. Et, à la vérité, des scènes semblables se