désagrégation conduisant irrémédiablement à leur extinction en tant qu’entité
humaine singulière, soit “folklorisées” et “marchandisées”, conservées à l’état
muséographique, pour produire au final une enveloppe vide de substance et de
sens, tel un fruit trop beau que l’on aurait évidé pour n’en laisser que la peau.
L’ethnologie est-elle alors condamnée à disparaître faute de nouveaux terrains
à explorer, à devenir une science sans objet telle une langue morte que l’on
s’efforce de sauvegarder? Claude Lévi-Strauss posa cette question dès le
premier cycle de cours dispensés au Collège de France en l’année 1959-1960.
La réponse donnée, ou plutôt, les réponses données à la fin des années
cinquante présagent de l’évolution qu’a connue la discipline dans la seconde
moitié du XXe siècle. En premier lieu, il constate que la pratique de terrain de
l’ethnologie traditionnelle, celle qui a exclusivement recours à l’observation
directe et à l’enquête orale, et qui se fonde sur une approche synchronique pour
comprendre les sociétés dites “primitives” considérées comme sans histoire et
sans écriture, est déjà en déclin et ce pour deux raisons. Nous avons déjà
insisté sur la première: les peuples autochtones s’éteignent et se dérobent à un
rythme terrifiant, telles ces 90 tribus qui ont disparues au Brésil entre 1900 et
1950 entrainant dans leur sillon la perte de 15 langues. La seconde est plus
surprenante: en Amérique Centrale, en Afrique et en Asie, les populations
manifestent une intolérance croissante vis-à-vis de l’enquête ethnographique.
Ce refus d’ordre moral tient au déséquilibre que l’ethnographie fait perdurer,
malgré elle, entre enquêteur et enquêtés: en se faisant le chantre d’une diversité
humaine souhaitable, l’ethnologue est perçu par ces populations comme le
défenseur d’une insupportable inégalité qui prolonge celle instituée par
l’essence même du rapport colonial. Mais pour Claude Lévi-Strauss, même
dans ces conditions difficiles, l’ethnologie traditionnelle “devra poursuivre,
pendant des siècles sans doute, l’exploitation de la masse énorme des
matériaux accumulés.” (Lévi-Strauss C., 1984: 21)
La plus grande partie de son cours est ensuite consacrée à la nécessaire
évolution de la discipline, à la reformulation de ses objets de recherche et de
ses méthodes, à son ouverture vers d’autres approches plus pluridisciplinaires.
